CHAN KAI YUEN
陳啟元


            ARTISTE / TEXTE



L’escalade sur la lune



“C’est le regardeur qui fait l’oeuvre”
           
                                  Marcel Duchamp

Pourquoi y a-t-il le poulet plutôt que rien ?

Si Dieu a créé l’Homme, alors l’Homme a créé et nommé le poulet — selon la loi du plus fort. Depuis toujours, le poulet évolue dans l’ombre de l’humanité, témoin silencieux de sa domination sur la nature.

Ce corps de poulet, arraché au vivant et figé par le moulage ou la résine, devient matière première du langage artistique. C’est là la marque distinctive de Chan Kai-Yuen, qui donne à ces formes organiques — parfois fragmentaires, parfois grotesques — une présence presque humaine : un « poulet-homme » à l’humour surréaliste, oscillant entre provocation dadaïste et fascination morbide  .

Par son œuvre, l’éphémère prend une forme durable, le cadavre se métamorphose en objet dramaturgique. Le poulet devient métaphore : incarnation de la fragilité de la vie, reflet de nos constructions sociales absurdes, hommage ironique à la matérialité — et à Duchamp-revisited  .

Ces poulets anthropomorphes composent un vocabulaire visuel étrange et puissant. Ils racontent nos vies, nos conflits, nos contradictions — la guerre et la paix, la vitalité et la mort — à travers un prisme à la fois dérangeant, drôle et profondément poétique.


« I tell you, we must die. »

Sous le ciel, tous les êtres sont égaux — même le poulet.




Chan Kai-Yuen







为什么会有鸡,而不是虚无?

如果上帝创造了人类,那么人类便创造并命名了鸡 —— 按照强者的法则。自古以来,鸡始终在人的阴影中进化,默默见证着人类对自然的支配。
这具鸡的身体,被从生命中剥离,经由模具或树脂而凝固,成为艺术语言的原材料。这正是陈啟元(Chan Kai-Yuen)的独特标志:他赋予这些有机形态 —— 有时支离破碎,有时怪诞不堪 —— 近乎人性的存在感:一种带有超现实幽默的“鸡人”,在达达主义式的挑衅与病态的迷恋之间摇摆。
通过他的作品,短暂化为持久,尸体蜕变为戏剧性的对象。鸡成为隐喻:生命脆弱的化身,荒谬社会建构的映照,对物质性的讽刺致敬 —— 以及对杜尚(Duchamp)的再演绎。
这些拟人化的鸡构成了一种奇异而强大的视觉词汇。它们诉说着我们的生活、冲突与矛盾 —— 战争与和平,生机与死亡 —— 通过一种既令人不安、又滑稽,同时深具诗意的视角。

“我告诉你,我们必须死去。”

在苍穹之下,万物皆平等 —— 即使是一只鸡。

陈啟元



Chan Kai Yuen, artiste improbable

Chan Kai Yuen est un artiste discret qui a cependant produit une oeuvre singulière, si singulière qu'elle porte à elle seule témoignage et trace de quelques uns des enjeux qui ont traversé la sphère de l'art contemporain entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe.

C'est que son travail est porté par deux forces incomparables et finalement extrêmement rares, l'humour accompagné de sa pointe fine, l'ironie, et un sens critique incisif et sans concession. Pour s'en convaincre, il suffit d'un regard sur ses oeuvres, ses sculptures en particulier, qui ont élevé le poulet plumé reproduit en résine avec une exactitude époustouflante, à la hauteur d'un symbole. Aussi nu qu'un nouveau né, il se prête à tous les jeux de rôles que l'imagination de l'artiste se propose d'inventer. Les multiples incarnations auxquelles il le fait participer le transforment sous nos yeux en notre double.


Voir des oeuvres de Chan Kai Yuen, c'est nous regarder droit dans les yeux mais à travers le prisme de l'humour et de l'ironie. Chan Kai Yuen se moque de nous d'une manière telle que nous ne pouvons que finir par rire de nous-mêmes. Marcel Duchamp a su se moquer des artistes se prenant au sérieux et prétendant élever l'imitation de la banalité à la hauteur de la beauté.

Prenant acte de la dévaluation du beau, Chan Kai Yuen nous montre tels que nous sommes vraiment : des êtres hantés par un mimétisme sans limite, capables de tout pour se faire remarquer, des ego incapables de penser à autre chose qu'à leur corps et de se soumettre à la loi du désir qui les meut, des perroquets culturels devenus incapables d'invention car obéissant à la seule pulsion mimétique. Le poulet en résine, utilisé comme objet transitionnel et matrice à fantasmes, remplit parfaitement cette fonction nouvelle de l'art : élever le renoncement à la beauté à la hauteur de l'art.

Qu'il soit christ ou homme en train de transformer un urinoir en poulailler, qu'il soit pris en flagrant délit de pratique érotique ou en train de jouer à superman, le poulet de Chan Kai Yuen s'impose comme le meilleur représentant de l'humour possible dans une société en crise.

D'autres animaux servent de support à cette méditation burlesque dont l'effet le plus efficace est de nous renvoyer notre image légèrement déformée et de ce fait plus "juste" que si l'on nous montrait tels que nous croyons être. Car telle est la puissance du hamster, du chien et surtout du rat, compagnon préféré de  Chan Kai Yuen dans ses vidéos en particulier : nous faire comprendre que ce sont les clichés et les stéréotypes qui constituent notre bagage culturel et non, comme nous affectons de  le croire, une culture raffinée et cultivée.

La force de cette oeuvre discrète tient aussi en ceci qu'elle transforme nos faiblesses en forces. En mettant en scène nos corps, nos pulsions les plus banales, comme les plus viles, celles liées au désir sexuel comme celles liées à l'argent par exemple, à travers sculptures, vidéos ou photographies,  Chan Kai Yuen nous fait rire. Il joue ainsi le rôle que tenait le fou du roi à la cour. Il se permet de dire au roi, c'est-à-dire à nous qui croyons être les rois du monde, nos "quatre vérités". Il réussit le pari de nous montrer vraiment tels que nous sommes !

C'est bien par l'humour et l'ironie qu'il élève l'enjeu esthétique jusqu'à une dimension majeure que peu d'artistes atteignent, la dimension éthique. Comme le fou du roi, il parle par allégories et comme lui il plante dans notre coeur d'aveugle, la lueur de l'espoir, celui de parvenir à faire de nous des êtres meilleurs.


Jean-Louis Poitevin